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Justifier l'injustifiable: Israel n'avait pas d'autre choix dans sa réponse au 7 octobre

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10 min read
Photo aérienne d'un quartier entier en ruines.

Cet article fait partie d'une série examinant les arguments avancés par les Israéliens et les sionistes pour légitimer l'actuelle offensive actuelle à Gaza. Bien que certains de ces arguments puissent être instrumentalisés de manière malveillante, en particulier par le gouvernement et l'armée israéliens, beaucoup les considèrent sincèrement, y compris par des amis et membres de ma famille.


Chaque conversation sur la guerre que j'ai avec des amis israéliens ou sionistes se passe à peu près de la même manière :

1. J'exprime mon horreur face à la réponse d'Israël aux attaques du 7 octobre, mon désespoir et ma tristesse ainsi que ma colère devant les morts et la destruction à Gaza.

2. Mon interlocuteur remet en question ma compassion pour les victimes israéliennes et les survivants des attaques du 7 octobre.

3. Je précise que je suis triste et horrifié par ce que les Israéliens ont vécu le 7 octobre (ma cousine campait dans le sud d'Israël à ce moment-là et aurait facilement pu être parmi les morts ou kidnappés; une personne avec qui j'ai fait mes études vivaient dans un des kibboutz attaqués et a perdu des membres de sa famille). Je rajoute que, quelle que soit l'horreur des attaques du Hamas, rien ne justifie la violence de l'assaut lancé par Israël contre Gaza.

4. Mon interlocuteur dit : "Alors que devait faire Israël ? Il doit répondre à ces attaques !"

Dans ce billet, je veux parler de l’idée selon laquelle la réponse d'Israël devait nécessairement être telle qu'elle est maintenant : des milliers de civils tués, des millions déplacés, une destruction sans précédent, une souffrance indicible.

Les justifications d'une guerre totale pointent généralement vers de ces trois raisons, et parfois toutes en même temps :

1. Israël doit libérer les otages capturés par le Hamas et d'autres groupes militants le 7 octobre.

2. Israël doit détruire le Hamas pour garantir qu'une attaque comme celle du 7 octobre ne puisse pas se reproduire.

3. Israël doit rétablir sa dissuasion et affirmer sa force pour éviter de futures attaques et protéger ses citoyens. Pourtant, lorsque l'on y regarde de plus près, ces arguments ne tiennent pas.

Ethique et contexte historique

Dans ce billet, je ne vais pas parler de la moralité de la guerre actuelle. Je veux me concentrer sur les arguments stratégiques et sécuritaires, car ce sont eux qui poussent tant de gens à soutenir la guerre, même s'ils détestent Netanyahu et l'extrême droite israélienne.

De même, je ne parlerais pas de la situation avant le 7 octobre et comment Israël aurait pu empêcher les attaques (par exemple, en ne soutenant pas le Hamas pour détruire la perspective d'un État palestinien; en ne détournant pas les ressources militaires de la frontière de Gaza vers la Cisjordanie pour mieux protéger les colons ; ou en sapant l'Autorité palestinienne lorsqu'elle tentait de promouvoir pacifiquement les droits des Palestiniens). Il ne fait guère de doute qu'Israël aurait pu empêcher le 7 octobre. Mais cela ne répond pas aux questions que se posent tant de gens, à savoir : quelles que soient les circonstances avant le 7 octobre et l'oppression d'Israël envers les Palestiniens, Israël devait réagir le 8 octobre. Que devait faire Israël ?

Je me concentrerai donc exclusivement sur la sécurité et sur la réponse au 7 octobre.

Raison n°1 : Israël doit libérer les otages

Israël accorde une grande valeur à la vie de ses citoyens. Malgré une culture militariste et un recours quasi systématique à la force, la minimisation des pertes civiles et militaires israéliennes est d'une importance primordiale pour la société israélienne. Nous le constatons à chaque fois que des soldats israéliens sont capturés par des groupes militants.

Lorsque, le 7 octobre, le Hamas et d'autres groupes militants ont kidnappé 240 otages, pour la plupart des Israéliens libérer les otages était alors l'objectif premier de la guerre.

Un graphique montrant la réponse à la question : "et parmi tous les objectifs ci-dessus, lequel pensez-vous être le plus important ? (Échantillon total ; %)" avec 49 % disant "libérer tous les otages", 32 % disant "renverser le Hamas", 10 % disant "rétablir la dissuasion", et 3 % disant "éloigner les résidents de Gaza et créer une zone tampon".

Pourtant, on observent deux choses :

  1. Les actions militaires israéliennes échouent manifestement à libérer les otages. Cela fait plus de deux mois de guerre totale et un seul otage a été secouru par les soldats israéliens, tandis que 109 ont été libérés dans le cadre d'échanges avec le Hamas.
  2. La manière dont Israël mène la guerre met le vie des otages en danger. Certains otages libérés lors des échanges ont déclaré que pendant leur captivité, ils étaient constamment sous la menace de bombardements israéliens. Il est également raisonnable de supposer que parmi les 21 otages qu'on pense mort en captivité, certains ont été tués lors de bombardements israéliens. Et la semaine dernière, des soldats israéliens ont abattu trois otages alors qu'ils tentaient de s'échapper. Les otages étaient torse nu et agitaient un drapeau blanc, montrant une fois de plus que les méthodes israéliennes ne discerne pas les militants des civils.

Certains disent qu'Israël devait exercer une forte pression militaire sur le Hamas pour être en meilleure position de négociation. En effet, chaque otage israélien a été échangé contre 3 prisonniers palestiniens, un nombre bien inférieur aux échanges précédents. Mais cela ne peut jamais justifier de mettre en danger la vie même des otages que l'on prétend sauver.

Raison n°2 : Israël doit détruire le Hamas

Il existe un large consensus au sein de la société israélienne selon lequel, à la suite des atrocités du 7 octobre, Israël doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour "détruire" le Hamas une fois pour toutes.

Cependant, l'idée selon laquelle on peut détruire un groupe comme le Hamas par des méthodes purement militaires est contraire à la réalité de la guerre et de la politique.

Les groupes comme le Hamas prospèrent sur le désespoir et la colère des jeunes, qu'ils recrutent dans leurs rangs. La guerre actuelle crée plus de désespoir et de colère à Gaza que jamais. La stratégie actuelle d'Israël a entraîné le déplacement de millions de Gazaouis, la mort de milliers de civils et une famine à grande échelle. Israël a tué 20 000 personnes, soit 1% de la population de Gaza. Tout le monde à Gaza a perdu des proches, a été blessé ou a perdu son domicile, souvent les trois à la fois.

Il ne fait guère de doute que dès la fin des hostilités, plus de jeunes que jamais se précipiteront pour rejoindre le Hamas ou d'autres groupes militants: les pères, les frères, les fils de ceux tués pendant la guerre. Même si Israël parvient à tuer les dirigeants du Hamas et à réduire considérablement ses capacités militaires, une autre organisation prendra la relève pour recruter ces jeunes et canaliser leur colère contre Israël. Ben Wallace, ancien ministre britannique de la Défense et membre du Parti conservateur, a déclaré que les actions d'Israël à Gaza "alimenteront le conflit pendant encore 50 ans" et "radicaliseront la jeunesse musulmane à travers le monde".

Et en effet, le soutien populaire au Hamas a augmenté depuis le début de la guerre (la plupart des Palestiniens interrogés n'ont pas l'air de connaitre l'ampleur des atrocités commises le 7 octobre).

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Robert Pape, chercheur en sécurité et professeur à l'Université de Chicago, souligne qu'utiliser une violence à grande échelle pour détruire un groupe comme le Hamas se retourne presque toujours contre ceux qui l'utilisent :

  • Lorsque Israël a envahi le Sud du Liban en 1982 dans le but de détruire l'OLP, il n'a pas seulement échoué à détruire l'OLP: la destruction à grande échelle laissée par Israël a conduit à la création du Hezbollah.
  • Lorsque Israël a envahi le Sud du Liban pour la deuxième fois en 2006, cette fois pour cibler le Hezbollah, il n'a pas atteint son objectif et le Hezbollah est sorti de la guerre renforcé.
  • Lorsque les États-Unis ont envahi et occupé l'Irak, leurs tentatives de lutte contre les groupes de guérilla locaux ont échoué et ont finalement conduit à l'émergence de l'État islamique (EI).

Et bien sûr, l'histoire de l'occupation militaire par Israël de la Cisjordanie et de Gaza est une longue série d'échecs pour vaincre la violence militante palestinienne. La seule fois où Israël a réussi à neutraliser un groupe militant palestinien majeur, l'OLP, c'était en s'engageant dans un processus politique sérieux. C'est à ce moment-là que l'OLP a renoncé à sa lutte armée contre Israël.

Face à cette réalité, ceux qui prônent "qu'Israël doit détruire le Hamas" parlent des défaites de l'EI ou de la capitulation de l'Allemagne nazie après le bombardement de Dresde. Pour eux, ces défaites montrent que l'utilisation d'une violence écrasante peut conduire à une victoire militaire et politique. Mais ces analogies ne fonctionnent pas : la campagne dévastatrice qui a vaincu l'EI à Mossoul ne produirait pas le même résultat contre le Hamas. Les combattants de l'EI à Mossoul étaient en grande partie des étrangers qui combattaient les armées kurdes et irakiennes, avec le soutien d'une coalition internationale ; tandis que le Hamas est profondément ancres à Gaza, recrute en exploitant les traumatismes de la violence israélienne (qui continuera même après la fin de guerre) et combat un ennemi largement considéré comme un colonisateur et un oppresseur. Et bien qu'il n'y ait toujours pas de consensus sur si le bombardement de Dresde a joué un rôle dans la défaite de l'Allemagne, il ne fait aucun doute qu'aujourd'hui, le massacre de civils à Dresde serait considéré comme un crime de guerre flagrant.

En conclusion, l'assaut ultra-violence qu'Israël a lancé contre Gaza après le 7 octobre a très peu de chances de conduire à la destruction du Hamas. Même si c'est le cas, un autre groupe remplacera le Hamas et continuera de menacer les Israéliens.

Raison n°3 : Israël doit rétablir sa dissuasion

L'argument final est que sans réponse vigoureuse, Israel encouragerait davantage d'attaques comme celles du 7 octobre. Seule un usage écrasant de la force peut montrer au monde qu'il y a un prix très réel à attaquer Israël.

En effet, après que le Hezbollah a capturé des soldats israéliens en 2006, Israël a lancé un assault violent contre le Hezbollah et le Sud du Liban. Les dégâts étaient tels que le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a plus tard déclaré : "S'il y avait même 1 % de chances que l'opération de capture du 11 juillet aurait conduit à une guerre comme celle qui s'est produite, l'auriez-vous fait ? Je dirais non, absolument pas, pour des raisons humanitaires, morales, sociales, de sécurité, militaires et politiques." On peut raisonnablement supposer que la violence écrasante d'Israël à Gaza après le 7 octobre a dissuadé le Hezbollah de participer à la guerre.

Mais c'est une approche simpliste et de court terme : cette guerre crée plus de haine pour Israël et les Israéliens que nous n'avons vu depuis une génération. La hausse des incidents antisémites dans le monde n'est que la partie émergée de l'iceberg. 96 % des Saoudiens pensent maintenant que les pays arabes devraient rompre tous les liens avec Israël, et 40 % soutiennent maintenant le Hamas, contre seulement 10 % il y a quelques mois. Les attaques des Houthis du Yémen ont forcé l'armée américaine à intervenir pour protéger Israël et ont montré que de nouveaux groupes sont désormais prêts à cibler Israël. Les États-Unis connaissent la plus grande vague de mobilisation pro-palestinienne de leur histoire, et les jeunes Américains soutiennent davantage les Palestiniens que les Israéliens dans la guerre actuelle.

La position d'Israël se détériore et la haine anti-israélienne augmente en corrélation directe avec l'escalade de violence israélienne à Gaza. Cette guerre ne va certainement pas renforcer la sécurité d'Israël.

Alors, que faire ?

Les motifs avancés pour justifier le déchaînement de la violence d'Israël contre Gaza ne résistent pas à un examen critique. C'est d'autant plus vrai lorsque qu'il existait une alternative évidente, une alternative qui aurait atteint les objectifs de sécurité d'Israël sans infliger une violence et une destruction à grande échelle aux Gazaouis.

Il existe un consensus quasi-universel parmi les experts en lutte contre le terrorisme selon lequel vaincre des groupes comme le Hamas nécessite deux éléments complémentaires : une campagne soutenue pour dégrader ses capacités militaires et un changement politique pour miner sa légitimité parmi les populations qui le soutiennent.

Israël aurait donc pu répondre au 7 octobre par une campagne antiterroriste prolongée. Sur plusieurs années (et non pas quelques semaines ou mois seulement), Israël aurait pu développer (ou redévelopper, plutôt) sa capacité à recolter des renseignements de haute qualité pour identifier, localiser et cibler les combattants du Hamas à Gaza. Israël aurait alors pu viser les figures du Hamas avec des frappes aériennes chirurgicales et des incursions de forces spéciales à Gaza. Cela inclurait les dirigeants du Hamas et les soldats qui ont perpétré les massacres du 7 octobre.

C'est cette même stratégie qui avait eu tant de succès pour Israël durant la deuxième intifada au début des années 2000. La campagne avait largement diminué la capacité du Hamas à tuer des Israéliens. La stratégie était tellement efficace que, pendant un certain temps, le Hamas avait caché le nom de son leader pour éviter qu'il ne soit ciblé.

Et en parallèle à cette campagne anti-terroriste, Israël aurait dû permettre une alternative politique viable au Hamas pour les Palestiniens.

Pour Robert Pape, professeur à l'Université de Chicago, le seul moyen de causer des dommages durables aux organisations terroristes est de "combiner, dans une longue campagne de plusieurs années, des attaques ciblées contre des terroristes avec des changements politiques qui créent des dissensions entre les terroristes et les populations locales."

Pour Zach Beauchamp, créer des dissensions signifie "répondre aux griefs légitimes du peuple palestinien, que le Hamas exploite à ses fins vicieuses." Il rajoute: "Pour réellement arrêter le terrorisme, Israël doit inverser sa progression vers l'annexion de la Cisjordanie. Il doit cesser l'expansion des colonies, prendre des mesures pour améliorer l'économie de la Cisjordanie, réprimer la violence des colons et réduire les postes de contrôle militaires qui rendent actuellement la vie extrêmement difficile pour les gens ordinaires en Cisjordanie."

Audrey Kurth Cronin, directrice de l'Institut Carnegie Mellon pour la Stratégie et la Technologie et auteure de "How Terrorism Ends", est d'accord. En parallèle à une campagne de lutte contre le terrorisme, "les dirigeants israéliens doivent cesser d'encourager l'expansion des colonies en Cisjordanie, un processus qui a progressivement anéanti tout espoir d'une solution à deux États".

Même si nous ignorons la moralité de la guerre actuelle (et nous ne devrions pas); même si nous adoptons une grille historique de très court terme et ignorons le siècle de conflit qui a conduit au 7 octobre (et nous ne devrions pas); alors même : aucune des raisons pour justifier la violence extrême de l'assaut israélien contre Gaza ne tient la route. Il y avait des alternatives. Le problème n'est pas que des alternatives n'existaient pas. C'est que ces alternatives exigeaient qu'Israël mette fin à la colonisation de la Cisjordanie et apporte des changements tangibles à son traitement des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza.