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Pourquoi je ne parle pas des otages israéliens

public
5 min read
Incendie massif avec fumée noire remplissant le ciel et une bannière avec des caractères arabes et un drapeau palestinien.
Rafah, le 26 Mai 2024. REUTERS/Reuters TV

Ce billet est disponible en anglais ici.


Le 7 octobre, ma cousine campait dans le sud d'Israël, à proximité des zones attaquées par le Hamas et le Jihad islamique palestinien. Aujourd'hui encore, l'idée qu'elle ait pu être enlevée, ou pire, me hante. Un ancien camarade de ma promotion à l’Université Reichmann, qui réside dans l’un des kibboutz touchés par les attaques du 7 octobre, a perdu des membres de sa famille lors de ces attentats. Certains de ses proches font partie des personnes enlevées, d'autres sont morts en captivité dans les geôles du Hamas.

Et pourtant, malgré cette proximité avec les victimes israéliennes du 7 octobre, je n'écris pas sur les morts et otages israéliens. Ma mère, qui lit mon blog, me demande souvent : Pourquoi ne peux-tu pas faire preuve d'empathie à l'égard des victimes palestiniennes et des victimes israéliennes ? Pourquoi ne n'appelles-tu pas la fin des bombardements sur Gaza et le retour des otages ?

Ma mère n’est pas la seule à poser ces questions. De nombreux critiques de la mobilisation étudiante soutiennent que l’accent mis exclusivement sur les actions israéliennes nuit à la crédibilité du mouvement. Ils estiment que l’attention portée exclusivement aux victimes palestiniennes démontre que le mouvement n’est pas véritablement préoccupé par les droits humains ou la sécurité pour tous. Selon eux, demander un cessez-le-feu sans exiger la libération des otages est une preuve de partialité et suggère que la critique d’Israël est devenue une mode, ou pire, un prétexte pour attaquer les Juifs. Quelle que soit la raison, cette apparente incohérence serait, selon eux, une preuve que le mouvement ne peut pas être pris au sérieux.

La vérité est que je ressens une profonde empathie à la fois pour les Israéliens et les Palestiniens. Et je suis convaincu que la majorité des manifestants que j’ai rencontrés partagent ce sentiment. Je suis véritablement touché par les vidéos du 7 octobre, ou lorsque je pense à Ariel et Kfir Bibas, ces deux frères âgés de quatre ans et d’un an, toujours retenus en otage à Gaza. Israël est un pays si petit que j’ai le sentiment de connaître personnellement chaque victime et chaque otage israélien.

Instrumentalisation

Ma mère a raison de dire que je devrais être capable d'appeler, haut et fort, à la sauvegarde des vies des deux côtés de la guerre, et pas seulement des Palestiniens. Mais quelque chose m’en empêche.

Initialement, je ne parvenais pas à identifier ce qui m'en empêchait. J'ai pensé que c'était parce qu'Israël et ses partisans ont instrumentalisé de manière agressive les événements du 7 octobre et la situation des otages pour légitimer l’extrême violence déchaînée sur Gaza. Peut-être que je ne voulais simplement pas jeter de l'huile sur le feu ? Peut-être avais-je peur de contribuer au discours selon lequel les crimes de guerre du Hamas justifient les crimes de guerre d'Israël ? Mais ce n’était pas la véritable raison. Mes écrits condamnant Israël et le sionisme sont parfois repris par des individus malveillants ou haineux qui s’en servent pour justifier leur appel à la violence envers les Israéliens, voire les Juifs. Cela ne m’empêche pas de continuer à écrire. Je persiste à dénoncer Israël et le sionisme, car je suis convaincu que c’est la bonne chose à faire, même si mes propos sont parfois déformés ou utilisés à des fins malveillantes.

L'évidence

En réalité, ce qui me retient d’évoquer les morts du 7 octobre et les otages israéliens est une évidence qui s'impose au monde entier, et que j'ai sans doute eu du mal à saisir en raison de mon attachement à Israël : ce que nous voyons à Gaza n'est pas une guerre, c'est quelque chose de bien plus sinistre.

En moyenne, 245 enfants palestiniens sont morts chaque semaine depuis le début de la guerre. 245 enfants. Chaque semaine. Et cela n'inclut même pas les milliers qui n'ont pas encore été identifiés, et les milliers qui sont encore sous les décombres. 245 enfants morts chaque semaine. Et des milliers d'autres sont morts : des personnes âgées, des femmes et des hommes qui ne méritent pas moins de vivre que des enfants. Nous parlons ici de dizaines de milliers de civils qui ont perdu la vie ou ont été blessés, de 1,7 million d’individus déplacés, contraints à des conditions de vie insoutenables, et de 1,1 million de personnes au bord de la famine, une famine provoquée par Israël. Le système de santé de Gaza a été entierement anéanti par les bombardements. Les écoles et les universités sont en état de ruine totale.

La magnitude de la dévastation à Gaza est terrifiante. Chaque jour qui passe apporte son lot de victimes, d'enfants affamés, d'habitations réduites en cendres. L’ampleur de la souffrance et de la destruction est sans précédent depuis une génération. Qu’on soit d’avis ou non qu’Israël commet un génocide à Gaza, le simple fait que cette question soit débattue témoigne de la brutalité de la violence israélienne.

Recontextualiser

L'ampleur de la mort et de la dévastation à Gaza, ainsi que l'urgence de la situation, font qu'il est difficile de parler d'autre chose que de Gaza. Mais le problème est plus profond. C'est une question de contexte historique.

Cette guerre impitoyable ne se déroule pas en vase clos. Avant même le 7 octobre, 80 % des Palestiniens vivant à Gaza étaient déjà des réfugiés, expulsés lors de la Nakba de 1948. Depuis 1948, ils sont confrontés à des cycles incessants de violence. Certains avancent que la guerre actuelle est la quinzième guerre que les Palestiniens de Gaza ont dû affronter. Le blocus imposé à Gaza par Israël et l’Égypte depuis 2007 a transformé Gaza en une véritable prison à ciel ouvert.

À Gaza, en Cisjordanie et ailleurs, les Palestiniens ont subi la dépossession, le nettoyage ethnique, l’apartheid, des restrictions sévères de leurs mouvements, des blocus et une violence quotidienne. Cette violence transcende la simple agression physique, elle s’étend également à l’invisibilisation de leur identité. Depuis l’émergence du mouvement sioniste, les Palestiniens font face à des tentatives persistantes de nier l’existence même de leur peuple. Aujourd’hui encore, les symboles de la culture palestinienne sont représentés comme des insignes de haine. Les revendications pour la liberté des Palestiniens sont stigmatisées comme étant des appels au génocide des juifs israéliens. Les démarches juridiques visant à obtenir la reconnaissance d’un État palestinien sont souvent qualifiées de « terrorisme diplomatique ». Pendant un siècle, les Palestiniens ont été sans cesse forcés de justifier leur existence.

Mettre fin au massacre

Après un siècle d'invisibilisation de la culture et de l'histoire palestiniennes, l'insistance à parler des otages détourne une fois de plus nos yeux et notre attention de la souffrance des Palestiniens aux mains du militarisme israélien. Cela perpétue également une fausse équivalence entre l’ampleur de la violence subie par les Israéliens et les Palestiniens, alimentant l’idée qu’il s’agit d’un « conflit » entre deux parties égales. Il ne s'agit pas d'un « conflit » : c’est un appareil militaire de plusieurs milliards de dollars, soutenu par l’armement et la puissance politique de la superpuissance mondiale, qui se dresse contre un peuple qui a été privé de toute forme de souveraineté et d’autodétermination pendant des générations.

245 enfants palestiniens sont morts chaque semaine depuis le 7 octobre. Au moment où j'écris ces mots, des bombes israéliennes tombent sur Rafah, Jabalia, Beit Hanoon et la ville de Gaza. Nous n'ignorons pas les otages israéliens parce que leur vie n'a pas d'importance. Elles comptent. Nous exigeons un cessez-le-feu parce que c’est à Gaza que se déchaine une violence incessante et insoutenable. Parce que c'est à Gaza que, chaque jour, nous assistons à de nouvelles tragédies, à de nouvelles morts et à de nouvelles destructions. Voila pourquoi le mouvement mondial de solidarité avec Gaza demande un cessez-le-feu immédiat. Voila pourquoi nous devrions tous demander un cessez-le-feu immédiat.